Attention, le droit évolue vite, ce qui est vrai aujourd’hui peut ne pas être vrai demain. Les articles présentés peuvent ne pas être totalement adaptés à votre situation ou à l’état du droit. Ils reflètent l’investissement de notre cabinet auprès des victimes.
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La Faculté de Droit, Sciences Po Grenoble et le Ministère de la Justice ont imaginé au printemps dernier de mettre sur pieds un colloque intitulé « Juger les Bourreaux ». C’est à l’occasion d’une rencontre avec M. Jacques DALLEST, Procureur Général de la Cour d’Appel de Grenoble, initiateur de ce projet, qu’a germé entre nous l’idée d’y associer notre cabinet. Nous sommes heureux d’avoir apporté notre contribution à ces deux jours de réflexion et à cette conférence publique du 10 octobre dernier qui fut un vrai succès. Retour donc sur les propos introductifs que j’ai eu l’honneur de présenter aux côtés du Procureur Général.

 

Mesdames et Messieurs les universitaires,
Mesdames et Messieurs les magistrats,
Monsieur le Procureur Général,

Quand le nom de votre cabinet comporte les mots « victimes » et « préjudices »,
Quand votre quotidien est exclusivement dédié à l’accompagnement de ceux qui ont subi dans leur chair l’autorité, la violence, de l’autre.
Quand vous militez pour que les victimes aient une juste place dans le procès pénal, non pas seulement celle de l’émotion, non pas seulement celle de la réparation financière,

Pourquoi? Pourquoi soutenir un colloque exclusivement tourné sur le procès des bourreaux?
Pourquoi soutenir une parole qui fera la part belle à la compréhension de ceux qui furent les acteurs du mal, alors que nous avons tant de mal aujourd’hui, dans certains lieux, à rendre audible la parole de leurs victimes?

Parce que l’Histoire, et parce que la Justice.

L’histoire. Savoir la regarder en face, la comprendre pour mieux prévenir demain.
Cette histoire des bourreaux c’est l’histoire de l’humanité toute entière.
L’histoire de l’humanité et d’une éthique de l’individu, où se confrontent sens moral, altruisme, égoïsme, responsabilité, autorité et loi.
Autant de mots qui traduisent le « si fragile vernis d’humanité » qui est en chacun de nous, et qui peut craqueler dans l’obscurité de nos consciences quand il s’agit de choisir le chemin qui va du mal au bien.

Quand il arrive à Grenoble en 1979, Rithy Panh a tout perdu sous le joug des Khmers Rouges: ses parents, et une bonne part de sa famille, sa jeunesse aussi.
Plus tard, dans sa quête de vérité, il film Dutch, le commandant du célèbre camps S21,  qui s’adresse à lui, le cinéaste victime des Khmers rouges : « sous les khmers rouges, monsieur Rithy, vous auriez pu être à ma place! Vous auriez été un bon directeur de S21. Vous êtes tellement sérieux ».

Ce même sérieux, peut être, qui fit d’Adolf Eichemann l’artisan méticuleux de la solution finale.
A l’ouverture de son procès, le monde entier découvre, notamment dans les lignes d’Anna Arendt, qu’il  n’est pas « une brute vociférante, bouffie de haine » mais un « petit monsieur, obsédé par la paperasserie, inconsistant, dépourvu d’affection, d’imagination et, en somme, de personnalité ».

C’est à la vertu d’un procès unique, celui de cet homme ordinaire, que nous devons de mieux comprendre la mécanique de la banalité du mal: l’aliénation de notre responsabilité individuelle et, au bout, l’abandon même de notre Moi à un collectif totalitaire.

Voilà pourquoi donner la parole aux bourreaux, et parler des bourreaux, de leur procès, est une démarche qui éprouve une certaine idée de la Justice.
Pour dire que le crime peut être supérieur au criminel.
Pour rappeler aussi que le chemin du mal, aussi extraordinaire soit il, peut avoir été tracé de la main de l’homme le plus ordinaire.
Pour alerter enfin sur la singularité de notre époque contemporaine qui envisage moins le procès des bourreaux que leur mort.
Une époque où la fin des plus grandes dictatures est marquée par bien des simulacres de « procès » : Ceaucescu, Sadam Hussein,…quand il y a procès.
Le procès des bourreaux ne saurait s’écrire comme une story Instagram: nulle place pour l’improvisation, il exige de la méthode et du temps, aussi douloureux soit-ill pour les victimes.

L’avocat de Victimes que je suis, conclura donc son propos introductif en laissant la parole à l’une d’entre elles, à ce même Rithy Pahn, qui regarde son bourreau face à lui et sa caméra :

« Dutch est un homme. Et je veux qu’il soit un homme. Non pas retranché, mais rendu à son humanité par la parole…Aujourd’hui, je sais pourquoi je filme; pourquoi j’écris. Je regarde les hommes. Tous les hommes. Chacun à sa place. »

Merci à la Faculté de Droit , à Sciences Politiques, de permettre, dans ce cadre universitaire, de porter ce regard sur la part sombre de notre humanité.

Bon colloque à chacun.